Engel & Völkers
  • 7 min lire
  • 01.03.23
  • par Michaela Cordes

SUR LES TRACES DE DIAN FOSSEY

Gorilles de montagne au Ruanda

Photographie par : Wildnerness

Elle était peu commode, passionnée et a payé de sa vie pour protéger son grand amour. 37 ans après la mort de la légendaire primatologue, la population des gorilles des montagnes menacés d’extinction augmente enfin au Rwanda. Récit d’un voyage dans un pays fascinant qui après le génocide de 1994, a su se forger une nouvelle identité basée sur l’entraide et sur l’amour.

Là ! Soudain, j’entends un bruit dans le buisson derrière nous. J’aperçois alors une main recouverte de longs poils noirs qui attrape une branche de bambou. Puis, j’entends un bruit de mastication. « Ne bouge pas », me dit Ignacius, mon guide, avant d’émettre un « mhhh-mhhhhhh » grave et rond. Dans le langage des gorilles cela signifie : je ne te veux pas de mal. Tandis que le dos argenté continue à mastiquer sa plante préférée, un gorille plus jeune a pris place derrière moi.

Tout doucement, je me retourne vers lui. Il me regarde d’un air presque timide mais intéressé avant de se hisser sur les jointures de ses doigts pour faire un pas vers la profonde forêt humide. « Viens ! » dit Ignacius et il se met à suivre le « dos noir », un mâle qui deviendra en vieillissant un « dos argenté ». À l’aide de sa machette, il nous fraye un chemin dans le sous-bois. Je me baisse pour le suivre à travers la végétation épineuse. Je frémis légèrement en voyant la machette car c’était l’outil privilégié des braconniers qui encore récemment tuaient d’innombrables gorilles des montagnes, mais aussi parce qu’elle a été, lors du génocide il y a 29 ans, l’arme utilisée pour assassiner brutalement un million de personnes en seulement 100 jours.

C’est le chapitre le plus sombre de l’histoire du pays dans lequel à ce jour presque tous et toutes ont perdu un proche. Mais en dépit de la douleur, il est aujourd’hui clos. Car ici, on a délibérément choisi de se positionner contre la haine et en faveur d’un avenir chargé d’espoir. Le résultat est que le Rwanda est aujourd’hui l’un des pays les plus progressistes d’Afrique. Près de 65 pour cent des sièges du parlement sont occupés par des femmes. Kigali, la capitale, est la plus propre du continent. On y a par exemple interdit les sacs plastique dès 2008 et la protection des gorilles des montagnes figure aujourd’hui parmi les priorités absolues.

« Nous avons choisi le pardon plutôt que la vengeance », me raconte Emmy, mon chauffeur, sur la route de Kigali à Bisate avant de m’expliquer où se trouvait à l’origine le point de départ du sentier pour observer les gorilles. Fièrement, il me montre les nombreuses colonnes à radars modernes que je connais d’Allemagne. Généreusement installées tous les quelques kilomètres, même sur les petites routes de campagne, elles ont permis de réduire sensiblement le nombre de morts sur la route. Le pays compte plus de 200 mémoriaux du génocide qui documentent ouvertement ce qui ne doit plus jamais se répéter dans l’histoire, ici ou ailleurs dans le monde.

Pour visiter les gorilles de montagne, il faut s'armer de patience.

Les mentalités ont également changé visà- vis des étrangers. Dian Fossey qui avait ouvertement attaqué le Rwanda dans les années 1970 en raison de son attitude laxiste vis-à-vis des braconniers et mis en garde que les gorilles des montagnes pouvaient complètement disparaître avant la fin du 20e siècle, est aujourd’hui une héroïne acclamée.

Pour pouvoir rendre visite aux gorilles des montagnes, il faut se munir de patience, j’ai attendu cette rencontre pendant presque douze mois. C’est une aventure exceptionnelle et très convoitée : la liste d’attente est longue. Seules douze des 20 familles de gorilles peuvent recevoir la visite de huit personnes une fois par jour pendant une heure. « Certains de nos clients réservent deux ans à l’avance », explique Ingrid Baas, directrice des opérations chez Wilderness Rwanda. Ouvert en 2019, ce magnifique gîte situé dans le parc national des volcans affiche complet toute l’année. Les connaisseurs le considèrent comme un lodge particulièrement intéressant pour partir à la rencontre des gorilles. Après une nuit courte et excitante dans ce logis aussi beau que confortable dont les chambres sont adossées à la colline tels des ruches sauvages, je me suis levée à cinq heures du matin pour me préparer. J’ai mis mes affaires imperméables et des gants (pour me protéger des buissons à épines) dans mon sac à dos et j’ai enfilé mes bottes de randonnée et mes guêtres étanches (pour éviter que des insectes puissent grimper dans mes bottes). Puis, nous partons en Jeep rejoindre le point de départ de l’excursion pour aller voir les gorilles où on m’a affectée à l’un des douze groupes.

Chacun muni d’une boîte à lunch, d’une bouteille d’eau et d’un bâton de marche, nous commençons à monter. Encadrés par trois guides, nous traversons d’abord des champs de haricots et de pommes de terre cultivés par les agriculteurs locaux au pied du volcan Sabyinyo qui culmine à 3 669 mètres, ce qui montre à quel point l’homme s’est rapproché de l’habitat du gorille des montagnes. Le Sabyinyo est l’un des huit volcans des montagnes des Virunga. Il s’étend sur le territoire de trois pays limitrophes sur lequel les gorilles des montagnes peuvent se déplacer librement : le Rwanda, l’Ouganda et la République démocratique du Congo. Lors du dernier recensement officiel dans les montages des Virunga, on a compté 1 060 gorilles des montagnes, un résultat réjouissant quand on sait qu’à l’époque de Dian Fossey, il ne restait plus que tout juste 250 individus de cette espèce dont 98 pour cent de l’ADN est identique au nôtre.

Il est presque midi en cette journée de décembre ensoleillée dans le parc national des volcans au nord-ouest du Rwanda qui abrite aujourd’hui 20 familles de gorilles. Il fait 24 degrés et aucun nuage n’est en vue. Pour la protection des animaux, le port du masque est obligatoire. « Depuis que nous avons rendu les masques obligatoires, nos gorilles sont beaucoup moins malades. Ce n’est pas seulement à cause de la pandémie de Covid. Les gorilles sont vulnérables face à de nombreuses maladies que nous, les humains, pouvons leur transmettre », explique Ignacius.

Les gorilles des montagnes se nourrissent exclusivement de végétaux et prennent leur premier repas de la journée vers dix heures du matin, après être sortis de leur nid nocturne qu’ils refont chaque soir en quelques minutes avec des feuilles (pour des raisons hygiéniques parce qu’ils l’utilisent aussi comme litière). La tranche horaire juste après leur petitdéjeuner est l’heure idéale pour leur rendre visite, car ils sont alors rassasiés et un peu fatigués. Pas étonnant quand on sait qu’un dos argenté d’un mètre soixante-dix engloutit à peu près 30 kilos de végétaux par jour.

Aujourd’hui, les grands primates n’ont presque plus d’ennemis – contrairement à l’époque de Dian Fossey où des groupes de braconniers corrompus assassinaient des familles de gorilles entières pour s’emparer de leurs petits. La primatologue américaine avait rendu publiques ces tueries brutales dans des grands reportages parus dans des revues internationales comme National Geographic.

Il faut savoir que les familles de gorilles se battent jusqu’à la mort pour défendre leur progéniture. Les braconniers étaient donc souvent forcés de tuer toute la famille pour pouvoir vendre au plus offrant un seul bébé gorille à un zoo occidental. Pour chaque petit, jusqu’à dix membres de sa famille mourraient, ce qui explique la diminution drastique des gorilles des montagnes à l’époque de Dian Fossey. « Aujourd’hui les zoos savent eux aussi que les gorilles des montagnes ne peuvent survivre nulle part ailleurs que dans leur habitat naturel », m’explique Ignacius.

Comment le Rwanda protège les gorilles de montagne

Pour cela, le gouvernement du Rwanda s’est engagé dans la protection de cette espèce menacée. De lourdes sanctions ont été mises en place contre le braconnage et le Karisoke Research Center, créé par Dian Fossey en 1967, reçoit des financements publics. La fondation Dian Fossey Gorilla Fund (initialement Digit Fund) reçoit d’importants dons de la part de nombreuses célébrités. L’animatrice de télévision Ellen DeGeneres est la plus connue d’entre elles. Sa première rencontre avec les gorilles l’a tellement bouleversée qu’elle a fait construire pour leur rendre hommage et pour continuer à sensibiliser le public un musée très moderne à Bisate, le Ellen DeGeneres Campus of the Dian Fossey Gorilla Fund, inauguré en février 2022. Le pilote de formule 1 Lewis Hamilton et l’acteur Harrison Ford auraient été également très émus lors de leur rencontre avec les gorilles des montagnes.

La fondation verse dix pour cent de ses recettes touristiques à l’État, ce qui permet de faire profiter les Rwandais de ce tourisme de luxe autour des gorilles et de renforcer la lutte contre le braconnage. Une équipe de scientifiques et de vétérinaires travaille sans relâche pour approfondir les connaissances sur les gorilles des montagnes. Huit des vingt familles de gorilles vivant ici sont observées uniquement à des fins scientifiques.

Pour trouver les gorilles, ceux qu’on appelle les « gorilla trackers », qui ont aussi pour mission de documenter l’état de santé et les habitudes des animaux au quotidien, partent à la recherche de la famille de gorilles Kwisanga – celle à laquelle j’ai le privilège de rendre visite aujourd’hui. Par talkie-walkie, les trackers indiquent à nos guides où nous emmener.

Kwisanga signifie "se sentir chez soi"

Kwisanga signifie « tu es ici chez toi ». La famille de gorilles tient son nom de son histoire peu commune. « Dans cette famille, il y a deux dos argentés. Ils sont venus chez nous du Congo il y a 15 ans et ne sont jamais repartis », me raconte Loyce, le soir, de retour au gîte. Elle est aujourd’hui l’assistante du manager du Wilderness Bisate Lodge. Avant cela, elle a travaillé comme guide dans le parc national des volcans pendant onze ans. Elle m’explique que la formation pour devenir guide auprès des gorilles est très exigeante et hautement sélective. Sur 1 000 candidats, seuls 17 sont retenus chaque année.

Après avoir pénétré la forêt humide au pied du volcan, la végétation devient nettement plus sauvage. Ici, outre les gorilles, vivent aussi des éléphants et des buffles, potentiellement dangereux pour les touristes. « Hier dans mon groupe, un touriste a pris peur et voulait partir en courant quand les éléphants se sont approchés de nous », me raconte plus tard l’un des guides. Il peut aussi parfois y avoir des imprévus lorsque les visiteurs tombent sur les gorilles avant les trackers. Loyce met en garde : « Il ne faut pas oublier que ce sont des animaux sauvages. » En onze ans, il lui est arrivé une seule fois de tomber sur une famille de gorilles très agressive. « Plus tard nous avons appris que leur bébé s’était retrouvé coincé dans un piège à antilope et que la famille entière était en détresse en raison de cette mésaventure. »

Lorsque j’aperçois enfin toute la famille Kwisanga que j’ai la chance de rencontrer aujourd’hui, pas une once de stress. On sent l’alanguissement après le repas. L’ambiance est harmonieuse. Arrivés sur cette hauteur verdoyante, il se met soudain à pleuvoir. J’aperçois un bébé gorille duveteux, tout détendu, qui baille et part se blottir contre son père qui dort profondément – le deuxième dos argenté de la famille. Et voici qu’un autre jeune gorille surgit des buissons de bambou et s’assied juste devant moi. Il est convenu que les visiteurs doivent garder au moins sept mètres de distance. « Si, par contre, les gorilles s’approchent de toi, il ne faut surtout pas bouger », m’avait recommandé Ignacius avant de partir. Je reste donc immobile et me trouve à présent si près du jeune gorille adolescent qu’il suffirait que je tende la main pour pouvoir le toucher. Mais contrairement à Dian Fossey, connue pour ses incroyables interactions avec les gorilles des montagnes qu’elle décrit dans son best-seller Gorilles dans la brume, il nous est strictement interdit de toucher les animaux. J’ai quand même un peu l’impression d’être dans l’un des impressionnants films documentaires de la primatologue américaine car le jeune gorille s’est maintenant allongé sur le dos et ne cesse de me regarder en jouant avec ses pieds comme un bébé humain. Quand la pluie se fait plus intense, sortant des buissons, la mère apparaît soudain pour enjoindre à ses petits de venir se blottir contre elle au sec, sous un arbre. Seul le second dos argenté, un imposant mâle, reste assis sous la pluie battante, les bras croisés. Stoïc et l’air presque buté, il fait la grimace, visiblement agacé.

Au bout d’une heure exactement, le temps de notre visite chez les majestueux primates est écoulé. À croire que les gorilles l’ont parfaitement compris eux aussi, le dos argenté se lève et passe tout près de moi avant de disparaître dans les buissons pour aller finalement se mettre à l’abri de la pluie qui ne faiblit pas.

37 ans après la mort de Dian Fossey qui s’est battue inlassablement pour la survie de cette sous-espèce du gorille de l’Est, au point d’avoir êté victime d’un violent assassinat encore non élucidé à ce jour, l’être humain reste la seule menace pour le gorille des montagnes. C’est la diminution de son habitat naturel qui représente le plus grand danger pour sa survie. C’est pourquoi l’engagement de Wilderness va bien au-delà de la seule intégration des habitants du village dans l’entreprise. Lors de la cérémonie annuelle au cours de laquelle les noms pour les gorilles nouveau-nés sont choisis, tout le village de Bisate est en fête. Et ici, on est aussi déjà fier du nouveau projet ambitieux mis en oeuvre par Wilderness : la reforestation massive autour du Wilderness Bisate Lodge permettra d’étendre significativement l’habitat naturel des gorilles. « Notre but est d’agrandir notablement le parc national pour que les gorilles des montagnes puissent avoir plus d’espace à l’avenir et que notre gîte se trouve un jour en plein milieu de la forêt humide », m’explique Ryan, le manager du Wilderness Bisate Lodge.

Avant mon départ, on me propose de planter un arbre : c’est un hagenia abyssinica, aussi appelé « african redwood » qui vit jusqu’à 250 ans et qui est un des arbres préférés des gorilles des montagnes. Afin de vérifier si la reforestation porte ses fruits, Wilderness a installé des caméras tout autour du gîte. Et, surprise : deux jours avant mon arrivée on a aperçu les deux premiers gorilles explorer les environs !

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