L’art de vivre selon Pierre Frey

Si « l’art de vivre à la française » existait vraiment, à quoi se reconnaîtrait-il ? A la sophistication de ses goûts, à l’inventivité de sa gastronomie, à l’architecture de ses bâtiments anciens, à l’élégance de ses silhouettes, à la liberté de ses mœurs, à l’éruptivité de son peuple ? Peut-être un peu de tout cela. Mais par-delà la mythologie un peu surfaite de la formule consacrée faisant des Français des bons vivants, cultivés et raffinés, l’art de vivre à la française renvoie beaucoup à une certaine idée de l’esthétisme décoratif : celle de la Maison française, célébrée de par le monde pour la beauté qui illumine les murs et les sols des espaces domestiques. 

Des papiers peints aux revêtements muraux, des tapis aux tissus d’ameublement, des moquettes au mobilier de maison…, la maison Pierre Frey porte cette promesse hexagonale d’un embellissement des choses de la vie depuis des décennies. Dans une continuité avec son projet initial, formalisé dès l’avant-guerre, en 1935, lorsque Pierre Frey crée son entreprise et s’installe rue des Petits Champs, près du Palais Royal. Une maison royale, vouée à créer, éditer et fabriquer des étoffes, dont le style et les codes esthétiques puisent à la fois dans l’imaginaire français du 18ème siècle et dans l’imaginaire de pays lointains. 

Associé au dessinateur Jean Chataney, Pierre Frey s’impose à partir des années 1950, comme une figure hexagonale de premier rang du tissu d’ameublement. Ses étoffes s’exportent dans toute l’Europe et traversent l’Atlantique ; les Etats-Unis perçoivent dans ses tissus le génie français à l’œuvre, qui depuis des siècles déploie l’art d’habiller les maisons, autant que les corps. Mais c’est à partir du début des années 1970, quand le fils Patrick rejoint la Maison du père, que l’entreprise décolle pleinement, grâce à l’élargissement de la gamme de produits et la création d’une ligne d’accessoires coordonnés aux tissus de la Maison. Assumant cette façon d’agrandir la marque pour la mener avec brio dans toutes les directions d’une fabrique à rêves, Patrick Frey s’inscrit dans le sillage d’un héritage familial oscillant entre fidélité aux origines et réinvention des produits. Le directeur artistique signe ainsi de nombreuses licences avec des marques prestigieuses. Au premier rang desquelles les créateurs de meubles Grange, Delorme et Flipo ou le plus vieux porcelainier français, spécialiste des arts de la table, Deshoulières.

Emmanuel ne recule décidément devant rien « Le confort ne m’intéresse pas, je pars du principe que tout est possible. À ce jour, il ne m’est jamais arrivé de promettre quelque chose que je ne puisse pas réaliser ». Le maître verrier incite les architectes avec qui il travaille à ne pas se poser de limites. La technique est au service de l’imagination. C’est pour cela qu’il s’est entouré d’une équipe pluridisciplinaire : artisans d’art, techniciens, ingénieurs… Même si tout compte fait, la formation compte moins que l’humain « Nous sommes à des années-lumière de ce qui est enseigné dans les écoles, donc je valorise beaucoup la motivation des personnes qui veulent travailler avec moi » explique l’intéressé. À l’atelier Barrois on crée, on expérimente, on innove, avec une méthodologie de travail qui séduit aujourd’hui de nombreux particuliers.

Depuis trente ans, la marque Pierre Frey s’est ainsi positionnée comme le héraut du patrimoine de l’industrie textile française. En 1989, Pierre Frey rachète la manufacture de tissage Denimal, située dans le nord de la France, reconnue pour son expertise dans le tissage des laines et des textiles outdoor. En 1991, elle reprend la célèbre maison spécialisée dans la fabrication d’étoffes, Braquenié,qui fut notamment le fournisseur de toiles de Jouy et d'indiennes de Marie-Antoinette. Avant de racheter au cours des années 2000 des marques puissantes comme Fadini-Borghi, spécialisée dans le tissage de la soie depuis le 13ème siècle en Italie, mais aussi Boussac, vieille marque française spécialisée dans les tissus aux motifs géométriques ébouriffants, ou encore Le Manach, symbole du style français qui puise son inspiration dans les soies d’Extrême-Orient et dans les cotonnades imprimées du 18ème siècle.

Chaque rachat ne vise au fond qu’un seul horizon : défendre des savoir-faire, des pratiques ancestrales, propre à l’industrie du luxe français, associées à des valeurs comme la créativité, l’exigence technique et la qualité esthétique. Des motifs que promeut le Comité Colbert intégré par Pierre Frey, chargé de valoriser le luxe français dans le monde. Nourrie de toutes ces valeurs et de cette envie de prolonger un savoir-faire ancien, la marque Pierre Frey forme un visage haut en couleurs de ce luxe français. Comme il le souligne dans un récent livre, Pierre Frey. Tissus, papiers peints, tapis et mobilier (Flammarion),son directeur artistique Patrick Frey sait ce qu’il doit à son père, mais aussi à sa mère, qui était décoratrice, et qui lui a « appris à voir ». A distinguer la structure d’une porte savoyarde de celle d’une porte bretonne, à saisir la subtilité d’un détail sur un tissu, à percevoir l’importance des nuances, de couleurs, de traits, à être constamment attentif à la beauté, à tout ce qui, dans l’apparente insignifiance des formes, donne à la vie un éclat salutaire. A l’image de la récente collection « Soleil levant », qui revisite le bestiaire fantasmatique des tigres et dragons en Extrême-Orient, dans des teintes naturelles qui évoquent l’esprit zen. Une manière, par le tissu, d’apaiser les esprits, de se frayer un chemin vers le plaisir d’habiter un espace.

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